Le multilatéralisme, héritage du XXéme siécle est-il encore possible ?

A l'occasion du centenaire de l'armistice de la Première Guerre mondiale, nous vous proposons un édito spécial du Club Jean Moulin par M. Bonin, professeur de SES et de philosophie. 

La commémoration de l’armistice de la Première Guerre mondiale est l’occasion de s’interroger sur les changements que cette guerre a introduit dans les relations internationales (question portée par Bertrand Badie spécialiste des relations internationales). De la grande période des jeux d’alliances que nous qualifierons aujourd’hui de bilatéralisme, le traité de Versailles en 1919 va conduire à la création de la Société des Nations ou league of nation (SDN / LN). La société des nations trouve ses racines dans les Quatorze points du discours du 8 Janvier 1918 prononcé devant le Congrès américain par le président Woodrow Wilson (DOC COMPLÉMENTAIRE - PADLET) qui promeut notamment une “diplomatie franche et claire”, un recul du protectionnisme et de l’usage des barrière tarifaires, et surtout “une association générale des nations [qui] doit être constituée sous des alliances spécifiques ayant pour objet d'offrir des garanties mutuelles d'indépendance politique et d'intégrité territoriale aux petits comme aux grands États”. En 1919 à Paris, le Pacte de la Société des Nations est rédigé et s’articule autour de trois grands principes : faire respecter un droit international, abolir la diplomatie secrète, résoudre des conflits par arbitrage. La SDN marque une rupture essentielle dans l’histoire des relations internationales dans le sens où elle offre la possibilité de rechercher à maintenir la paix en ne faisant de la guerre que le dernier recours, en privilégiant un multilatéralisme qui veut mettre à pied d’égalité les pays dans des processus de négociation.

L’échec de la SDN  ne met pas fin à ce projet d’une assemblée des Nations puisqu’en 1945 les Nations Unies sont créées ainsi qu’une cours internationale de justice (CPJI) qui permet de régler des différends (exemple le droit de la mer), un Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (AGETAC- GATT en anglais) est signé en 1947 et deviendra l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et l’Organe de règlement des différends (ORD) en 1995. En outre, on peut également souligner l’émergence du G5 en 1975 (Allemagne, France, Etats-unis, Japon, Royaume-unis) puis du G7 en  (Italie et Canada) puis du G20 en 1999, ainsi que les accords régionaux de libre-échang, qui favorisent une coopération multilatérale, comme l’Accord de libre-échange nord-américain en 1994 (ALENA) devenu en 2018 l’Accord États-Unis-Mexique-Canada (AEUMC), l’Association des nations de l'Asie du Sud-Est (ASEAN), née en 1967, qui regroupe l'Indonésie, la Malaisie, les Philippines, Singapour, la Thaïlande, le Brunei Darussalam, le Vietnam, la Birmanie et le Laos, et le Cambodge. Bien sûr ce tour de vue du multilatéralisme ne peut être complet sans parler de l’Union européenne qui est à la fois une zone de libre échange, un marché commun depuis 1957 (circulation libre des capitaux, des marchandises et des personnes), une Union économique et monétaire (UEM) depuis 1992 et surtout un projet d’intégration politique (harmonisation des normes relevant de compétences européennes par la commission européenne - élection au suffrage universel direct d’un parlement  européen, cours européenne de justice etc.) Ce modèle européen est sans aucun doute le modèle de multilatéralisme le plus accompli, modèle que ni la Chine ni les États-unis ne pourront jamais vraiment comprendre.

Néanmoins, depuis la création de la SDN et depuis le grand projet visionnaire de Wilson, force est de constater un recul des instances internationales et un recul du multilatéralisme. En 2016 Donald Trump remporte les élections sur le thème de America first qui va se traduire concrètement le 12 octobre 2017 par le retrait des États-Unis de l’UNESCO, le 14 mai 2018 par la décision unilatérale d’installer l’ambassade américaine à Jérusalem s’opposant ainsi à la résolution du Conseil de sécurité 478 adoptée en 1980 résolution demandant à Israël de mettre fin à l’occupation de Jérusalem. C’est le Plan de partage de 1947 qui institue Jérusalem comme “ville internationale”. Le 4 Août 2017, les Américain se retirent de l’Accord de Paris sur le climat (signé en décembre 2015),  retrait de l’Accord sur l’Iran -malgré les protestations de ses alliés européensla re-négociation musclée du NAFTAla crise de la nomination des juges à l’ORD - ou l’annexion de la Crimée en 2014 par la Russie aggravent la crise du multilatéralisme. La paralysie de la communauté internationale face à la crise syrienne qui laisse s’affirmer des puissances autoritaires au niveau régional (Proche-Orient/Moyen- Orient) comme la Turquie, la Russie et l’Iran, en les faisant apparaître comme des faiseurs de paix. Un renversement des rôles semble ainsi se mettre en place :  un président américain qui mène la charge en septembre 2018 contre le multilatéralisme dans son allocution devant les Nation Unies à New-York (“Nous défendons l’Amérique et le peuple américain. Et nous défendons également le monde : Chacun de nous, ici, aujourd’hui, est l’émissaire d’une culture distincte, d’une histoire riche et d’un peuple lié par les liens de la mémoire, de la tradition et des valeurs qui font que notre chez nous n’est comme nulle part ailleurs sur la planète. C’est pourquoi l’Amérique choisira toujours l’indépendance et la coopération plutôt que la gouvernance, le contrôle et la domination internationales”) et un  président chinois, Xi Jinping, qui revendique son attachement à la gouvernance mondiale devant le 19e Congrès national du Parti communiste chinois (PCC) le 18 octobre 2017 (“Fidèle à la conception de gouvernance mondiale dite "concertation, synergie et partage", la Chine préconise la démocratisation des relations internationales et l'égalité entre tous les pays, qu'ils soient grands ou petits, puissants ou faibles, riches ou pauvres. Elle se prononce pour un rôle actif des Nations Unies, ainsi que pour le renforcement de la représentation et l'extension du droit de parole des pays en développement dans les affaires internationales”).

Monde à l’envers, nouvel “nouvel ordre international”, les questions aujourd’hui se pose sur les défis de ce “nouveau” multilatéralisme. Cette crise du multilatéralisme pose de nombreuses questions : comment faire face à la crise environnementale, à l’explosion des inégalités dans le monde, aux conflits illégaux et aux crises humanitaires si le seul rapport de force possible est la loi du plus fort que l’on retrouve dans le rapport bilatéral ?

 

1-Bilatéral - ce qui a deux coté. En relations internationales on parle de relation quand on parle d’un sommet franco-britannique par exemple et de bilatéralisme quand on privilégie des négociation d’Etat à Etat au lieu de négocier avec plusieurs pays en même temps ce qui définirait une négociation à plusieurs côtés c’est à dire le multilatéralisme.  

 

 

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